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Nouvelles recommandations alimentaires : quel équilibre entre protéines animales et végétales ?

Interview croisée de Charlotte Debeugny & Fanny Paris

Flexitarisme, veganisme, produits biologiques, agriculture raisonnée… Ces tendances émergentes sont portées par un désir commun de consommer durablement tout en favorisant une alimentation saine. Mais comment s’y retrouver face à une grande diversité de produits ? Nous avons interrogé deux expertes en nutrition.

Fanny Paris est attachée de recherche clinique, passionnée par la recherche épidémiologique nutritionnelle, la lutte contre la dénutrition et le microbiote intestinal. Elle a précédemment exercé en tant que diététicienne dans des contextes variés, auprès de patients souffrant de diabète, d’obésité, ou de troubles alimentaires. Elle s’intéresse de près à l’actualité scientifique depuis plus de 7 ans.

Charlotte Debeugny est nutritionniste, auteure de plusieurs ouvrages sur la nutrition, et donne des consultations à Paris et en région parisienne. Ses conseils en nutrition reposent sur les derniers travaux de recherche, ce qui lui permet de proposer des approches qui ont fait leurs preuves.

Nous avons demandé à ces deux expertes de donner leur avis sur les nouvelles recommandations alimentaires, prônant un rééquilibrage entre produits végétaux et animaux, ainsi que les nouvelles alternatives alimentaires végétales. Découvrez leurs points de vue croisés !

Cette année, l’Agence Nationale Santé Publique (ou Santé Publique France) a publié des nouvelles recommandations alimentaires pour la population française, qui prônent un rééquilibrage entre produits animaux et végétaux. Cette tendance est celle portée par le flexitarisme. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que ces nouvelles recommandations de l’ANSP sont tout à fait justifiées.  Ces nouvelles recommandations préconisent désormais activement la consommation de légumineuses, de céréales complètes et de fruits à coque, l’augmentation de la consommation de fruits et légumes tout en réduisant la consommation de viande rouge, de viande transformée et de sucre ajouté.  Les dernières recherches en nutrition (bien qu’il y ait toujours matière à débat !) ont démontré qu’une consommation réduite de ces catégories d’aliments est non seulement bonne pour notre santé, mais bonne pour la planète !

J’aime aussi beaucoup le terme « flexitarisme », un régime principalement végétarien avec l’ajout occasionnel de viande et je me qualifierais de flexitarienne aussi, car j’ai tendance à manger de la viande rouge 1 à 2 par mois, mais mon régime principal est généralement à base de plantes avec beaucoup de légumineuses et céréales complètes.  Le flexitarisme, comme le végétarisme et le véganisme, est basé sur des préoccupations de santé, de bien-être animal et d’environnement, mais avec un élément « sans règles » qui permet aux individus de consommer de la viande sans s’engager dans un mode de vie végétarien ou végan complet.

C’est une excellente chose ! Historiquement, la population française consommait bien plus de protéines végétales avant l’avènement du « tout accessible » en permanence. On consommait par exemple bien plus de lentilles qui connaissent actuellement un regain d’intérêt. Aujourd’hui, de nombreux aliments sont accessibles en permanence mais on a oublié, occulté la notion de qualité. Il s’agit de qualités nutritionnelles, gustatives et environnementales. On en est arrivé à consommer bien trop de viandes (rouges, viandes blanches, des fast-food ou importées, …) pauvres qualitativement et ce aux dépens des aliments végétaux.

Revenir aux protéines végétales permet de diversifier son alimentation et de lui redonner de la qualité. On mange moins de viande mais de meilleure qualité (origine, élevage, etc). Et on découvre un choix de produits végétaux qui « reverdissent » l’assiette. Cela apporte plus de minéraux, d’oligo-éléments et de fibres (super alliées de notre microbiote). Les protéines végétales peuvent être apportées par des produits type meat-like mais aussi par l’association céréales et légumes secs. Rappelons les recettes traditionnelles : couscous (blé & pois chiches), chili sin carne (riz & haricots rouges), minestrone (pâtes & haricots). Il n’est pas nécessaire de passer par des aliments transformés de l’industrie pour être flexitarien : 2/3 de céréales et 1/3 de légumineuses dans l’assiette vous assurent un apport de protéines qualitativement équivalent à celui des viandes. C’est également moins onéreux et permet d’acheter des viandes de meilleures qualités.

Dans ces recommandations, l’ANSP (comme dans la plupart des autres pays) continue à recommander la consommation journalière de produits laitiers. Pour vous, le yaourt a-t-il toujours une place dans ces recommandations ? Selon vous, le yaourt peut-il faire partie d’une alimentation durable ?

En ce qui concerne les produits laitiers, ces recommandations suggèrent une consommation suffisante de produits laitiers, mais pas excessive.  Comme tout, c’est une question d’équilibre. Pour répondre à la définition de la durabilité, les produits laitiers doivent remplir 4 critères : être denses en nutriments, abordables, respectueux de l’environnement et avoir une valeur culturelle ou sociétale.  Le yaourt est un aliment riche en nutriments dont la matrice alimentaire contient des protéines, du calcium, des acides gras bioactifs et des bactéries lactiques, et sa consommation est associée à un risque moindre d’un certain nombre de maladies chroniques, il répond donc au critère de densité nutritionnelle.  C’est certainement abordable en plus d’avoir une valeur culturelle forte, nous le fabriquons depuis des siècles !

En termes d’impact sur l’environnement, bien qu’il ait un impact environnemental plus élevé, il n’est pas aussi élevé que la viande et des efforts considérables sont faits pour rendre la production laitière plus durable en améliorant son efficacité et en réduisant ses émissions.  Au final, étant donné que le yaourt répond sans ambiguïté à trois des critères de la durabilité et que des progrès rapides sont réalisés pour réduire les émissions, à mon avis, oui, le yaourt fait partie de l’alimentation durable.

Mon dernier point est qu’il est très difficile pour un seul aliment de satisfaire pleinement à ces critères de durabilité, et les besoins en éléments nutritifs doivent être pris en compte en même temps que le contexte environnemental, qui exige un équilibre très délicat.

Les produits laitiers sont des aliments historiques. On en consomme depuis plusieurs millénaires ! Notre ADN en porte la trace. C’est dans notre Humanité la plus profonde, ancrée par la nutrigénétique et nutrigénomique, l’exposome et l’épigénétique. Ils ont toujours été un traceur d’une alimentation saine, et ce bien avant l’arrivée de l’agro-industrie de masse.

Jusque-là, l’ANSES recommandait 3 à 4 produits laitiers / jour. On vient de passer à 2 en population générale, les 3 à 4 étant maintenus pour les enfants, adolescents, femmes enceintes et personnes âgées. Je ne connais pas, à titre personnel, de professionnels de santé ayant modifié leur recommandations. Tout le monde reste aux 3 à 4 portions / jour. Le yaourt est la première source (sur l’alimentation quotidienne) de calcium. C’est aussi une source de protéines d’excellentes qualités. Il contient des probiotiques dont l’apport quotidien est essentiel pour notre santé (métabolique et cardiaque, mentale, prévention de cancer). Il est très peu onéreux donc non discriminant socialement. Rappelons également, que dans une France vieillissante, où l’incidence de la dénutrition augmente, il joue un rôle stratégique d’apport hydrique et protéique.

Effectivement, il est également tout à fait justifié dans une alimentation durable et les végétariens de la première heure ne l’ont pas oublié. Prenez des yaourts natures les moins transformés possible et vous aurez l’un des produits nutritionnellement le plus riche avec un coût carbone des plus bas. Son impact environnemental peut évoluer si on met des additifs inutiles de toutes sortes, des sucres et que le lait n’est pas français.

En France, les alternatives végétales au yaourt sont de plus en plus présentes dans les rayons des supermarchés : qu’en pensez-vous ? 

 Je pense que ces produits peuvent être un ajout intéressant et très utile pour ajouter de la variété aux régimes végétaliens ainsi que pour les personnes souffrant d’allergies au lait.  Ce qui m’inquiète, c’est qu’ils ne sont pas aussi denses en nutriments que le yaourt, car ils sont moins riches en protéines et ne contiennent pas naturellement de calcium ou de vitamines B12. Les produits laitiers sont également l’une des principales sources d’iode dans notre alimentation.  Il est donc très important que ces substituts végétaux soient enrichis de ces micronutriments clés et que l’on prenne soin d’obtenir un apport adéquat en protéines d’autres sources végétales.

Tout d’abord je crois qu’il est fondamental de faire un point sur les appellations. Seuls les laits issus de mammifère peuvent être nommés ainsi. On parle trop abusivement de laits végétaux. Ce sont des jus voire des boissons reconstituées à base de purée et d’eau. C’est comme comparer la viande rouge et les cerises parce que sont des éléments solides et rouges ! Cela n’a pas de sens.

Il existe un outil, le score DIAAS, pour comparer les valeurs protéiques d’aliments. Il correspond à la quantité d’un Acide Aminé Essentiel (AAE) dans 1g de protéine étudiée par rapport à la quantité du même AAE dans 1g de protéine référence. Ce score est de 118% pour le lait, 90,6% pour le soja déficient en méthionine et seulement 37,1% pour le riz.

Le calcium du lait de vache est le mieux absorbé car seul le lait et les produits laitiers ont un rapport Calcium/Phosphore>1. « 1 » correspond au rapport Ca/P de l’os et de l’émail. Il est de 1,34 pour le lait, 0,72 pour les boissons à l’amande, 0,3 pour les boissons au soja, 0,16 pour les boissons à l’avoine et 0,13 pour les boissons à base de riz. S’ajoute à ce duo Ca/P, des effets structurels matriciels uniques dû aux lipides du lait qui forment des micelles de phosphocaséinate de calcium. Ces structures permettent notamment une digestion plus facile par les enzymes.

Enfin le yaourt bénéficie de l’ensemencement de probiotiques qui pré-digèrent tout cela et lui confèrent un apport d’antioxydants intéressant (et c’est sans parler des probiotiques eux-mêmes). Vous voyez donc que les yaourts traditionnels sont largement plus denses nutritionnellement que leurs homologues végétaux. D’ailleurs, la plupart des industriels doivent les enrichir en calcium mais ils ne retrouvent pas le formidable effet matrice du yaourt. Et ils sont aussi bien plus chers. Pour moi, ces produits doivent rester des variantes (pourquoi pas au goûter ?) mais clairement pas des substituts pérennes.

Merci à Fanny Paris et Charlotte Debeugny pour leurs regards.  Vous pouvez les suivre sur Twitter:

Fanny Paris: @actunutrition   _ Charlotte Debeugny : @debeugny

Amandine Gunther de Francqueville: Food engineer specialized in human nutrition.
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