En France, la proportion d’individus forts consommateurs de sucres libres est beaucoup moins élevée chez les adultes que chez les enfants. Une forte majorité de ces derniers dépasse la limite fixée par l’Organisation Mondiale de la Santé, avec une consommation notable en dehors des repas. L’alimentation des enfants tout comme celle des adultes forts consommateurs de sucres libres, est de moins bonne qualité nutritionnelle, mais peut généralement être optimisée par une diminution des produits sucrés, des boissons sucrées et des jus de fruits et une augmentation de l’eau, des fruits, des légumes, des féculents et des produits laitiers chez les 7 à 17 ans.
Dans un contexte d’augmentation de la prévalence du surpoids et de l’obésité, les apports en sucres sont de plus en plus pointés du doigt. En outre, une consommation élevée de sucres ajoutés a été associée à une alimentation de moindre qualité nutritionnelle, avec de faibles apports en micronutriments. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère que la lutte contre la consommation excessive de sucres est une priorité et recommande depuis 2003 de limiter l’apport en sucres libres (SL) à moins de 10 % de l’apport énergétique (soit 50 g pour un apport de 2 000 kcal), aussi bien chez les adultes que chez les enfants (1). En France, il existe une recommandation sur les sucres totaux (hors lactose et galactose) pour les adultes, récemment proposée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et fixée à moins de 100 g par jour (2). Des chercheurs français ont mené une étude afin d’estimer la proportion d’enfants et d’adultes forts consommateurs de SL, de décrire leur diète et de modéliser les changements alimentaires nécessaires pour qu’ils respectent l’ensemble des recommandations nutritionnelles, y compris la recommandation de l’OMS sur les SL.
Le terme « sucres libres » regroupe les sucres ajoutés lors des procédés industriels, des préparations culinaires ou de la consommation et les sucres naturellement présents dans le miel, les sirops, les jus et les concentrés de fruits. |
Le pourcentage d’individus dépassant la recommandation de l’OMS décroît avec l’âge
L’étude est basée sur les données de consommation de l’enquête alimentaire INCA 2, réalisée en 2006-2007 sur un échantillon représentatif de la population française. Les apports nutritionnels ont été estimés à partir de la table de composition nutritionnelle Ciqual 2013, complétée des teneurs en SL. L’échantillon d’analyse descriptive comprend 1 380 enfants âgés de 3 à 17 ans -répartis en trois classes d’âge : 3-6 ans (n = 230), 7-11 ans (n = 412) et 12-17 ans (n = 738)- et 1 719 adultes âgés de 20 à 75 ans. Au sein de chacune des classes d’âge, l’échantillon a été séparé en deux sous-populations : les « SL-Compliants », pour les individus respectant la recommandation de l’OMS en SL et les « SL-Excès », pour ceux ne la respectant pas.
L’apport en SL représente respectivement 14,7% et 9,5% de l’apport énergétique des enfants et des adultes (chez les adultes, cet apport ne prend pas en compte les boissons alcoolisées, dont les SL contribuent à seulement 0,16 % de l’apport énergétique total). Le pourcentage de consommateurs SL-Excès est de 83 % chez les enfants et de 41 % chez les adultes. Il est décroissant avec l’âge : 92 % chez les 3-6 ans, 86% chez les 7-11 ans, 75% chez les 12-17 ans…et 21 % chez les 65-75 ans (Voir figure 1). Le fort pourcentage de SL-excès chez les enfants s’explique par des apports en SL (en g par jour) proches de ceux des adultes, malgré des apports énergétiques plus faibles.
La part des sucres libres consommés hors repas est plus importante chez les forts consommateurs de SL.
Quelle que soit la tranche d’âge, les SL-Excès ont un apport énergétique hors des repas principaux plus important que les SL-Compliants (de 75 à 171 kcal). Chez les enfants de 3-6 ans et de 7-11 ans, l’apport énergétique journalier est équivalent entre les SL-Excès et les SL-Compliants. Chez les adolescents de 12-17 ans et les adultes, il est en revanche plus élevé pour les SL-Excès que les SL-Compliants. Quel que soit la tranche d’âge ou le moment de consommation, les SL-Excès consomment plus de SL que les SL-Compliants (au total, plus 31,4 à 45,2 g par jour), notamment lors des consommations hors repas, qui fournissent 34 à 46 % des apports supplémentaires en SL. Chez les enfants, l’apport énergétique des consommations hors repas provient principalement de prises alimentaires entre le déjeuner et le dîner. La méthodologie d’INCA 2 ne permet pas d’attribuer la totalité de la prise alimentaire entre le déjeuner et le dîner au moment spécifique du goûter, mais ces résultats suggèrent que les enfants SL-Excès seraient des plus grands consommateurs de goûters, moment où la prise alimentaire est principalement composée de produits au goût sucré.
Dans la diète des SL-Excès, les SL sont apportés principalement par les produits sucrés (biscuits, pâtisseries, chocolats, bonbons…) : de 30,7 à 53,9 % des apports totaux selon la classe d’âge et les boissons : de 18,6 à 33,3 %. Ils proviennent dans une moindre mesure des produits laitiers : de 5,1 à 11,5 %.
Globalement, comparés aux SL-Compliants, les SL-Excès ont un Mean Excess Ratio (MER : indicateur d’une moindre qualité nutritionnelle) supérieur, expliqué par les apports plus élevés en SL. Chez les adultes, les SL-Excès ont un Mean Adequacy Ratio (MAR : indicateur d’une bonne qualité nutritionnelle) inférieur. Ces résultats sont en accord avec ceux d’une revue récente, qui montre que les apports en sucres sont associés à une plus faible qualité nutritionnelle des diètes.
L’optimisation de l’alimentation des forts consommateurs de sucres libres modifie la part des différents groupes d’aliments.
Dans la sous-population SL-Excès, une approche de modélisation individuelle a été appliquée, de façon à obtenir, pour chaque diète observée une diète optimisée respectant un ensemble de 33 recommandations nutritionnelles, dont la recommandation de l’OMS sur les SL. L’objectif était de simuler une diète nutritionnellement adéquate la plus proche possible de celle de départ. Cette modélisation a été réalisée pour chaque individu et à calories constantes. Il a toutefois été impossible de trouver une optimisation pour 1 adulte et 175 enfants, notamment 40% des SL-Excès âgés de 3 à 6 ans. Cette infaisabilité était due à l’incompatibilité entre les contraintes nutritionnelles, les contraintes d’acceptabilité et le répertoire alimentaire de ces individus. L’optimisation, qui diminue les SL de 26 à 30 g par jour selon la classe d’âge, passe en effet par une modification de la part respective des différents groupes d’aliments.
Moins de produits sucrés, de boissons sucrées et de jus de fruits
Le groupe des produits sucrés se trouve diminué dans toutes les classes d’âge, de 41 à 77 g par jour et cette baisse concerne tous les aliments de ce groupe (pâtisseries, chocolats…).
L’optimisation diminue les boissons sucrées et les jus de fruits, respectivement de 69 à 141 g par jour, soit une réduction de 0,5 à 0,9 portion par jour (voir Figure 2).
Plus d’eau, de fruits et légumes, de féculents et pour les 7-17 ans de produits laitiers
L’optimisation augmente fortement l’eau chez les enfants (3-17 ans), de 257 à 554 g par jour, pour respecter la recommandation d’apport en eau de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Selon la classe d’âge, elle majore la quantité de fruits et légumes de 91 à 236 g par jour, soit 1 à 3 portions et de féculents de 77 à 134 g par jour, soit environ 1 portion. Le groupe des produits laitiers se trouve augmenté chez les 7-11 ans de 49 g par jour et les 12-17 ans de 125 g par jour. Il reste stable chez les adultes et est diminué chez les 3-6 ans de 37 g par jour (voir Figure 2). Ces variations s’expliquent par l’augmentation des laits et yaourts nature chez les 7-11 ans, les 12-17 ans et les adultes, alors que la consommation de fromages est fortement diminuée quelle que soit la tranche d’âge et tout particulièrement chez les 3-6 ans. Pour cette tranche d’âge, les diètes optimisables concernent des enfants ayant déjà des apports élevés en calcium (1er quartile de la distribution, supérieur à l’apport nutritionnel conseillé) et des consommations importantes de produits laitiers (378 g par jour en moyenne) (voir Figure 3).
En conclusion : les laitages sucrés ont leur place dans la diète optimisée des forts consommateurs de SL
Dans toutes les classes d’âge, la réduction des SL permet de diminuer les sucres totaux, ce qui va dans le sens des recommandations de l’OMS et de l’Anses. Elle est obtenue principalement par une diminution des produits sucrés, des boissons sucrées et des jus de fruits, qui sont les deux plus gros contributeurs en SL dans les diètes observées. Pour les produits laitiers, troisièmes contributeurs des SL avec les laits aromatisés, yaourts et fromages frais sucrés, une moindre diminution des SL et même une augmentation chez les 12-17 ans, est observée. Ceci s’explique par le fait que les diètes modélisées doivent respecter un ensemble de contraintes sur les macro- et micronutriments. Les aliments contenant des SL et apportant des nutriments favorables (minéraux,vitamines…) ne sont pas systématiquement diminués : les produits laitiers sucrés contiennent des SL, mais contribuent de manière non négligeable aux apports en calcium.
Références :
-
World Health Organization (WHO). Guideline: sugars intake for adults and children. 2015.
-
Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Actualisation des repères du PNNS : établissement de recommandations d’apport de sucres. Rapport d’expertise collective. Décembre 2016.
-
Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation (Afssa). Etude individuelle nationale des consommations alimentaires 2 (INCA 2) 2006-2007. Rapport de septembre 2009.
-
Anses. Table de composition nutritionnelle Ciqual.
-
Pour en savoir plus, lisez : « Apports en sucres et principaux contributeurs dans la population française ».
Pour en savoir plus, lisez l’article original : Maillot M., Privet L., Vaudaine S., Lluch A., Darmon N. Enfants et adultes forts consommateurs de sucres libres en France : quels changements alimentaires pour respecter les recommandations nutritionnelles ? Cahiers de Nutrition et de Diététique. 2017 ; 52 (S1) : S66-S79.