Alimentation durable

Alimentations durables : Compte-rendu du symposium de YINI (Nutrition 2019, Baltimore, USA)

YINI Symposium Sustainable diets - the conference in synthesis

Quels régimes sont les plus durables ? Comment peut-on mesurer la durabilité ? Une alimentation durable implique-t-elle toujours d’éviter les produits d’origine animale ? Les produits laitiers & le yaourt s’inscrivent-ils dans une alimentation durable ? Voici quelques-unes des questions abordées par Elin Röös (maître de conférences associé, Département de l’énergie et de la technologie, Université suédoise des sciences agricoles), Adam Drewnowsksi (PhD, directeur, Centre de nutrition en santé publique, Université de Washington) et Frans Kok (professeur émérite, Université de Wagueninguen, Pays-Bas) lors du symposium du YINI organisé le lundi 10 juin dans le cadre du Congrès Nutrition 2019, à Baltimore, États-Unis.

Alimentations durables : mythe ou réalité ?

Tôt ce lundi matin, la salle dans laquelle se tient le Congrès Nutrition 2019 est pleine à craquer. Face à l’assistance, le congrès débute avec Elin Röös (Université suédoise des sciences agricoles, Suède), sur l’écran*, qui détaille les différents problèmes et implications des alimentations dites « durables » sur les systèmes alimentaires, la production alimentaire, la nutrition …

Selon des données récentes, la diminution rapide des émissions de GES (gaz à effet de serre) est nécessaire si nous ne voulons pas reporter le problème sur les générations à venir. Les systèmes alimentaires actuels sont l’un des principaux contributeurs au changement climatique, responsables de près de 25 % des émissions de GES et l’une des principales causes de perte de la biodiversité, d’utilisation d’eau douce et de pollution. L’agriculture et l’utilisation des terres sont responsables d’environ 15 à 25 % des émissions globales de GES et les emballages, la transformation, les marchés, l’utilisation domestique et les déchets sont évalués comme contribuant aux émissions globales de GES à hauteur de 5 à 10 %. Concernant les aspects nutritionnels, les systèmes alimentaires ne parviennent pas à nourrir la population de manière adéquate puisque l’on constate une malnutrition massive dans le monde entier (faim, obésité, déficit en micronutriments).

Sur la base de ces données, comment développer des alimentations durables ?

Selon la FAO : « Les alimentations durables sont les systèmes alimentaires à faibles impacts environnementaux, qui contribuent à la sécurité alimentaire et nutritionnelle des générations présentes et futures. Les alimentations durables sont protectrices et respectueuses de la biodiversité et des écosystèmes, sont acceptables culturellement, accessibles, économiquement équitables et abordables. Elles sont nutritionnellement correctes, sûres et saines, tout en optimisant les ressources naturelles et humaines. » (FAO/Biodiversity International, 2010).

Si les domaines de durabilité peuvent être définis comme étant la santé, l’économie, la culture et l’environnement, l’approvisionnement alimentaire durable idéal doit produire des aliments qui sont riches en nutriments, abordables, socialement acceptables et appétissants et ce, avec un faible impact sur l’environnement.

Les régimes alimentaires occidentaux et la quantité élevée d’aliments d’origine animale ont des impacts environnementaux élevés. Dans ce contexte, une option intéressante a été proposée, celle de recourir à des régimes alimentaires davantage à base de plantes. Il reste toutefois difficile d’évaluer quels types et quelles quantités d’aliments d’origine animale (viande et produits laitiers) promouvoir pour parvenir à la durabilité.

Les messages clés d’Elin Röös :

  • Le changement climatique est une réalité ! La durabilité est notre responsabilité commune et elle implique une approche globale.
  • Près de 25 % de nos émissions de carbone proviennent de notre système alimentaire. Notre système alimentaire représente 70 % de l’utilisation d’eau douce et pourrait être responsable de 60 % de la perte de biodiversité mondiale.
  • Changer les régimes alimentaires actuels pourrait réduire les émissions de GES de 50 %. Nous devons changer le mode de production, de gestion et de consommation de nos aliments.
  • Les améliorations de la production, les innovations techniques, la réduction des pertes et déchets alimentaires, la modification des modes de consommation sont des changements nécessaires pour rendre nos systèmes alimentaires durables.

« Nous pouvons limiter le changement climatique en limitant l’émission de gaz à effet de serre. Pour cela, nous devons procéder à une transformation radicale de notre système alimentaire (production alimentaire, déchets alimentaires et consommation alimentaire) »

Comment mesurer l’empreinte environnementale ?

Adam Drewnoswski (Université de Washington, États-Unis) est venu enrichir la réflexion avec une présentation de l’approche méthodologique et des données d’étude récentes.

Les alimentations durables sont définies en 4 dimensions : Nutrition et santé (densité énergétique et nutritionnelle, profilage nutritionnel, qualité de l’alimentation), Économique (abordabilité, coût par Kcal ou par nutriment, budget, questions du travail), Société (importance culturelle, identité sociale, attitudes, croyances, préoccupations, religions, rituels) et Environnement (coût environnemental, GES, terre, eau, énergie, sol, climat, déchets, perte).

Toutefois, ces 4 domaines évoluent dans le temps et l’espace, tout comme les régimes alimentaires. La mesure de la durabilité est donc très complexe et critique. Adam Drewnowski l’a comparée à un bijou !

Il est important de garder à l’esprit que les aliments doivent être riches en nutriments, abordables, accessibles et appétissants – ainsi que sûrs et (de plus en plus) naturels, le tout avec un faible impact sur l’environnement.

Chacun des ces domaines de durabilité a ses propres mesures :

  • La densité nutritionnelle est mesurée au moyen d’outils de profilage nutritionnel (NP).
  • L’abordabilité peut être mesurée en termes d’énergie ou de nutriments par coût unitaire.
  • La valeur sociale des aliments est plus complexe à mesurer, elle intègre les attitudes et les croyances, le plaisir perçu et le contexte social de l’alimentation.
  • L’impact environnemental des régimes alimentaires est mesuré en termes d’utilisation des terres, de l’eau et de l’énergie associée à la production, la distribution et la vente des aliments. Lorsque l’on se concentre sur l’empreinte carbone, l’impact environnemental des aliments est souvent exprimé pour 1 kg d’aliment alors qu’il devrait être exprimé pour 2000 kcal/jour ou pour un nutriment.

En résumé, pour Adam Drewnowski :

  • Pour qu’un système alimentaire soit durable, il doit tenir compte des influences nutritionnelles, sanitaires, économiques et culturelles ainsi que de l’impact environnemental.
  • Les quatre domaines à prendre en considération sont la nutrition & santé, l’environnement, la culture et l’économie. De nombreuses approches ne prennent en considération que deux domaines (nutrition/santé et environnement) mais il est essentiel de prendre en considération les quatre domaines et leur évolution.
  • Un système alimentaire idéal ne doit pas seulement produire suffisamment de calories pour nourrir la population mondiale croissante, mais également produire une diversité d’aliments denses en nutriments qui cultivent la santé humaine et soutiennent la durabilité environnementale.
  • Le besoin de nouvelles mesures est évident : pour ajuster l’indice des aliments riches en nutriments (Nutrient-Rich-Food Index, NRF) afin de tenir compte de la qualité des protéines pour exprimer les émissions de GES en kcal ou en nutriment.

« Pour cultiver la santé humaine, il est important de passer d’une approche basée sur les nutriments à une approche basée sur les aliments ; à titre d’exemple, la quantité de protéines ne suffit pas, nous devons également prendre en considération la qualité des protéines »

Y a-t-il encore de la place pour les produits laitiers ?

Après cette présentation sur l’importance de la qualité des protéines dans l’alimentation durable, Frans Kok (Université de Wageningue, Pays-Bas) a axé son propos sur les produits laitiers.

Selon l’article de l’EAT-Lancet publié en début d’année, des modifications spécifiques sont nécessaires (changements alimentaires, évolution des pratiques de production, réduction des déchets alimentaires) pour rester dans les limites de la production alimentaire et continuer à proposer des régimes alimentaires sains en 2050 (principalement à base de plantes).

Analysant les études disponibles, principalement des études nationales, F. Kok a montré que leurs résultats indiquent majoritairement que les produits laitiers sont partie intégrante de régimes alimentaires durables. La viande a l’impact le plus élevé sur le réchauffement mondial, suivie du fromage, du yaourt, du lait et des produits végétaux. Même si les protéines laitières provoquent des émissions plus importantes qu’une combinaison de légumes et de céréales, les études de modélisation montrent qu’en conservant des produits laitiers dans l’alimentation, il est plus facile de satisfaire les besoins nutritionnels de la population, en utilisant uniquement des aliments d’origine végétale.

En résumé, selon Frans Kok, nous pouvons obtenir des réductions des émissions de GES de 20 à 30 % d’ici à 2030 au travers de notre alimentation afin de limiter l’augmentation de la température mondiale à moins de 2 °C (cf. Accord de Paris sur le climat). Le rapport EAT-Lancet recommande une assiette santé planétaire composée à 50 % d’aliments d’origine végétale, une réduction importante de la viande & une limitation des produits laitiers. Mais cela ne doit pas être l’unique solution.

Pour Frans Kok :

  • Les données existantes montrent que la consommation quotidienne de lait ou d’équivalents-lait reste compatible avec des régimes alimentaires durables et sains, avec un intérêt particulier pour le yaourt en raison de sa richesse nutritionnelle, de sa faible teneur en matières grasses et de son contenu en ferments.
  • Toutefois, des études supplémentaires sont nécessaires pour quantifier son impact environnemental.

« Sur la base de la publication de l’EAT-Lancet, la consommation quotidienne d’au maximum 500 grammes de lait ou d’équivalents-lait peut être compatible avec des régimes alimentaires durables et sains. Selon Frans Kok, le yaourt présente un intérêt particulier en raison de sa richesse nutritionnelle, de ses ferments et de sa faible teneur en matières grasses »

Pour tous les conférenciers, la nécessité d’études supplémentaires et de mesures adéquates est évidente. Il est clair également que des régimes alimentaires durables peuvent être élaborés au moyen de différents modèles et que le succès des changements mis en œuvre repose sur la prise en compte des habitudes alimentaires locales et des cultures alimentaires. Pour finir, ils estiment que la réduction et la substitution de certains aliments plutôt qu’une approche d’éviction complète pourrait être plus efficace pour la santé planétaire.

* Afin de limiter son empreinte carbone, Elin Röös a décidé d’intervenir en ligne et d’éviter le trajet en avion depuis la Suède.

Pin It on Pinterest